Il aimait dire: « Rien n’est plus beau qu’un corps nu. Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme ce sont les bras de l’homme qu’elle aime. Mais, pour celles qui n’ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis là » . Cette belle expo à Nice, au Musée des Arts Asiatiques, explore sa créativité forte exotique et mystérieuse. De quoi nous inspirer en forme, couleur, mythe et fantaisie.

LES VOYAGES IMAGINAIRES – L’INDE, LA CHINE et LE JAPON

Grâce à ses « voyages imaginaires » Yves Saint Laurent a livré, au fil de ses collections, une vision rêvée de contrées lointaines, teintée de connaissances puisées à la fois dans ses lectures et dans une approche directe des objets d’art. Le couturier a plongé immanquablement au cœur des coutumes locales, exploré le folklore, détourné les clichés afin de proposer une représentation sublimée de traditions vestimentaires. Parmi ses « exotismes » l’Asie occupe une place particulière qui ponctue toute son œuvre. ll propose une vision à la fois littérale et imaginaire de l’Asie. Tout au long de sa carrière, il a regardé les costumes traditionnels indiens, chinois et japonais, pour donner vie à des créations. Dès ses premières collections, il réinterprète les somptueux manteaux des souverains de l’Inde. Ensuite, la Chine impériale lui inspire la collection de l’automne-hiver 1977, pour laquelle il donne une image théâtrale et transformée du pays. Cette même année, le créateur met en exergue ces influences asiatiques à travers une nouvelle fragrance. La « sulfureuse » Opium suscite un vent de scandale qui lui confère un succès mondial. Fasciné par le Japon, et en particulier par le théâtre kabuki, il revisite plus tard le kimono.

L’INDE : DU COSTUME PRINCIER AU SARI TRADTONNEL

Yves Saint Laurent revisite les somptueux manteaux des souverains de l’Inde du Nord dans une vision élégante mêlée de féérie. Il va ainsi développer un goût pour les soieries précieuses brochées d’or, les broderies métalliques en relief et les costumes sophistiqués agrémentés de boutons-bijoux hérités des costumes princiers de la cour moghole, dynastie qui régna sur l’Inde du XVIème au XIXème siècle. Le couturier réinterprète aussi l’usage de ces bijoux en reprenant le boteh, un motif floral en forme de palme, emblème du pouvoir royal, qu’il utilise de la même manière comme ornement de turbans (sarpech). Yves Saint Laurent regarde aussi les tenues traditionnelles de l’Inde hindoue et propose une version raffinée du costume drapé des femmes indiennes, le sari, tissé dans la plus fine des mousselines, dont la subtile transparence suggère le corps sans le dévoiler. La distinction entre le costume cousu d’Inde du Nord et le costume drapé d’Inde du Sud n’est pas sans rappeler la séparation des ateliers d’une maison de haute couture entre l’atelier tailleur et l’atelier flou.

LE JAPON

Fasciné par l’époque d’Edo (1600-1868), durant laquelle l’art s’affranchit peu à peu du pouvoir impérial, et par le théâtre kabuki, il offre une vision toute personnelle du traditionnel kimono. En forme de T, il en donne une version qui conserve la fluidité de ses lignes, accompagnant la silhouette dans le mouvement au lieu de la contraindre. Tout en reflétant la quintessence ancestrale du Japon et son raffinement délicat, l’interprétation du kimono par Yves Saint Laurent n’en reste pas moins une création originale. Pour Yves Saint Laurent, le Japon est plus qu’une inspiration, c’est un modèle qui constitue le point de départ d’une création rendant hommage à la grâce des courtisanes déambulant dans les rues de Gion, quartier réservé de Kyoto qu’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont arpenté. Pierre Bergé déclarait ainsi « Nous étions passionnés par Kyoto et tout ce qu’il se passe dans Gion. Je suis beaucoup allé au Japon. C’est mon pays de prédilection ». Au sein de l’exposition, les créations d’Yves Saint Laurent font écho aux tenues traditionnelles japonaises, comme ce superbe kimono de cérémonie, ou à la représentation idéale de la féminité japonaise illustrée par la belle et rare estampe d’Utamaro.

LA CHINE IMPERIALE et FLORALE

À l’exception de l’exposition qui lui était consacrée à Pékin en 1985, il ne voyagea pas en Chine. C’est donc principalement à travers sa vaste collection de livres, les films ou les objets d’art chinois qu’il possédait avec Pierre Bergé, qu’il se construit une Chine imaginaire que l’on retrouve principalement dans la collection automne-hiver 1977 mais déjà de manière plus diffuse à l’automne-hiver 1970. La Chine suscite chez Yves Saint Laurent des vêtements amples, caractéristiques des habits chinois témoignant du statut social de ceux qui les portent. Si la forme évoque la veste traditionnelle portée par les femmes de l’ethnie Han (ethnie majoritaire de la Chine continentale), il ne garde de ce vêtement que la coupe droite, le volume, ainsi que les manches larges, en s’appuyant sur une construction technique à l’occidentale. Par ailleurs, les « chinoises » d’Yves Saint Laurent semblent se conformer à la tradition de l’Opéra de Pékin qui ne vise pas à restituer un vêtement authentique et historique mais à produire un effet esthétique, soulignant les mouvements des acteurs. Dans ses créations d’inspiration chinoise, Yves Saint Laurent emploie de façon récurrente des motifs floraux qui renvoient explicitement à l’Extrême-Orient. La collection de l’automne- hiver 1970 semble évoquer par son décor floral une vision personnelle du répertoire iconographique des robes informelles bianfu (vêtements de loisir) caractérisées par des motifs libres et variés de fleurs aux coloris vifs. Les formes générales du vêtement font à la fois écho à l’Asie et au monde des steppes par l’utilisation de la tunique floue, de la blouse longue et des manches en T. Le col, par sa fermeture sur le côté, évoque les robes dragon de la dynastie mandchoue (1644 – 1912).

Musée Départemental des Arts Asiatiques de Nice – 405 Promenade des Anglais 06200 Nice www.arts-asiatiques.com – jusqu’au 6 octobre 2019