Ça faisait déjà longtemps que nous  avions remarqué l’artiste Gaspare Di Caro sur la Côte d’Azur, un sicilien né à Antibes, mais plutôt citoyen du monde. La façon toute particulière avec laquelle il crée «la lumière»  avait attiré notre attention et nous avons attendu le bon moment pour que nos routes se croissent naturellement
Gaspare met en scène sa vision avec une certaine élégance et légèreté et, même si très colorés, les bâtiments/églises ne perdent pas leur nature et leur caractère. Ses lumières apprivoisées respectent les bords et les bordures exactement comme le centre, en offrant une autre vue et aperçu aux spectateurs, même les plus distraits. 
Lors de son spectacle « Les Templiers » à Biot, en Avril 2024, réalisé avec la société Proietta, nous avons mieux compris son travail: la «luminographie», c’est-à-dire l’art de peindre avec la lumière. Il faut imaginer être immergé dans une chambre noire et dans des lanternes magiques, tout en même temps. Il nous a expliqué comme la lumière est une question, pas de puissance, mais de concentration et que chaque couleur a une personnalité assez définie, même le blanc.
Quand nous l’avons rencontré à Cannes, le lendemain de son spectacle, nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions et nous avons découvert que ce magicien des lumières est aussi un homme très cultivé et extrêmement talentueux.
Voilà notre interview…

Pouvez-vous nous expliquer qu’est-ce que c’est la luminographie ?
C’est l’art et la manière de mettre en lumière une surface finie depuis un point de départ choisie. La luminographie est un néologisme entendu dans la contraction des mots lumière et graphique. Comme disait Leonardo da Vinci: «simplicitas est ultimus rubitatis» la simplicité est la sophistication suprême. En ce sens j’ai voulu définir en un seul mot ma technique artistique. Dans la luminographie tout est question de mesures de distance, d’angle de perspective, lignes de fuite. Les axes et parallaxes sont inspirés par les calculs de Filippo Brunelleschi. Bien qu’ayant des racines anciennes cette technique est tournée vers le futur.
La luminographie est une nouvelle manière de penser l’éclairage urbain, car pérenne et basse consommation.

Comment préparez-vous un spectacle de lumières ?
Le plus simplement possible, je m’imprègne de l’atmosphère, j’observe surtout le flux des passants qui est déjà un public en puissance, jusqu’à ce qu’une petite musique s’accorde à mon esprit. Il suffit de bien connaitre ‘’le solfège’’ luminographique qui se compose uniquement de 4 notes: une lampe, une image, une optique et une distance.

Quels ont été vos débuts dans ce métier ? Et comment a-t-il évolué ?
C’est un long et banal cheminement: la photo, l’écriture, le cinéma, le théâtre, le music-hall et la luminographie, qu’avant j’avais baptiser «La Commedia della Luz», l’acteur principal n’étant pas celui que l’on éclaire mais la Lumière elle-même. J’ai toujours considéré la luminographie non pas comme une finalité mais plutôt comme un prétexte aux rencontres (parfois les plus improbables). Aux voyages. Il ya un coté nomade, saltimbanque dans mon attitude artistique. Un coté amoureux aussi, je dois aimer la ville, le lieu, l’édifice, la pierre et son histoire pour pouvoir m’y projeter. Et comme toute histoire d’amour il y a un début et une fin. Qui n’est jamais négative pour moi, je vais juste voir ailleurs.

Vos instruments de travail ont évolué eux aussi, racontez-nous comment.
Les images ont été préalablement calculées et dessinées en perspective grâce à une camera oscura mise au point au XVe siècle par Giambattista Della Porta. La camera oscura a été utilisée par les grands maitres de la peinture tels que Leonardo da Vinci, le Caravaggio et le Canaletto. Cet instrument, n’a pas changé. Par contre au début j’utilisais des projecteurs lourds et imposant. Il me fallait par conséquent des aides pour le porter. Ce qui entravais ma liberté de création, l’art est ennemi de la dépendance. J’ai réfléchi à comment réduire leurs poids et encombrement tout en gardant une puissance lumineuse optimal. Il m’était important de me suffire à moi-même. Je suis passé de 150KG à 18Kg, de 6KW à 300W et dernièrement à 70W. Ces progrès techniques «par nécessités» m’ont permis de réaliser des mises en lumières pérennes, sans pollution lumineuse et  très basse consommation.

Vous êtes un artiste, dites-nous quel est votre vision sur les artistes en général. Quel importance peut avoir un artiste de nos jours.
Lorsque on me «traite» d’Artiste je réponds que je suis né comme ça, que ce n’est pas de ma faute. Pour moi être un artiste ce n’est pas plus ce qu’il produit, ce qu’il laissera derrière lui, mais plutôt une manière d’être au monde. Eugène Ionesco m’avait dit: «l’Art ne sert à rien, c’est pour cela qu’il est indispensable». A l’époque cela sonnet bien à mon oreille. Aujourd’hui, dans ce monde actuel, l’art est indispensable uniquement pour ceux qui prétendent en faire profession. Cela n’a jamais été mon cas. J’ai mis en lumière des monuments emblématiques, certaines de mes luminographies ont servis de catalyseur à des tournant de l’histoire. Ma lumière est une clef magique m’ouvrant des portes impensables, et des ruines oubliées depuis des siècles. En choisissant la lumière comme matière première, je ne laisserais rien de matériel, de palpable après moi. «Memento Mori», une locution latine, qui vient à l’esprit: n’oublie pas que tu es mortel chuchotions à l’oreille des généraux romain victorieux, alors figurez- vous un porteur de lumière…