Artiste peintre et plasticien, Grégory Berben rend hommage à la ville de Cannes à travers ses toiles colorées, composées comme des puzzle géants. Il détourne, déchire, découpe et assemble des bandes d’affiches de rue, il mêle des pièces d’ images à des petits textes et le résultat est gai, dynamique et harmonieux.
Il est totalement autodidacte et a affiné sa technique et sa fibre artistique, au fil des années, avec beaucoup de méticulosité, et c’est pour ça que ses œuvres pop art sont assez uniques, riches en mouvements, formes, contrastes colorés et contours. Sa touche particulière – il va nous expliquer tout ça dans l’interview – est une ligne noire qui unit la quasi totalité des morceaux d’affiches. En effet sa ligne est « un lien » qui accompagne nos regards dans le déroulement de sa composition créative.
Nous l’avons rencontré dans son atelier au « Suquet des Artistes» à Cannes (même résidence de notre bien-aimée Olivia Paroldi) , quelques jours avant la fin de l’année 2023. Nous en avons donc profité pour lui poser quelques questions sur sa technique, sur sa façon d’être artiste et sur ses projets futurs.
Une carrière artistique qui dure depuis plus de 20 ans, racontez nous comment et pourquoi vous vous êtes intéressé aux collage, aux affiches en général.
Le temps passe si vite, déjà 27 années de créations sur «vrais» tableaux. Je me suis intéressé aux collages de façon très simple, il y a un peu moins de 20 ans, en étant arrêté à un feu rouge, Boulevard Picaud à Cannes. Il pleuvait ce soir là et il y avait un panneau d’affichage libre à côté de moi qui débordait d’affiches…Ça faisait comme une vague, c’était sublime ! Ni une ni deux, j’ai garé la voiture, j’ai arraché les affiches et j’ai commencé à travailler cette matière inconnue le soir même et jusqu’à l’aube. Depuis c’est une longue histoire d’amour.
Comment définissez vous votre façon d’être artiste et qu’est ce que vous voudriez communiquer à travers vos œuvres. D’où vient votre inspiration. L’artiste a-t-il une mission dans notre société ? Peut-il convoyer des messages plus profonds?
On pourrait en discuter des heures de tout ça ! Pour être le plus concis possible, je pense être un artiste un peu touche à tout (à part la sculpture, mais ça viendra un jour c’est certain ) J’ai différentes séries et quand on les voit les unes à côté des autres, on peut facilement penser qu’il y a plusieurs artistes derrière.
En fonction des séries, il y a un message en effet, ou pas…
Par exemple pour ma série « Brainstorming », je m’attaque au flux d’informations que l’on reçoit quasi H24 ( réseaux sociaux, smartphones, TV, chaînes d’information etc)
Pour ma série « Tranches de Vie », j’essaie de symboliser les étapes importantes de la vie de chaque être humain…
Pour ma série «Affichage Libre» je suis plutôt dans le challenge. L’idée est d’aller à la récolte (d’affiches notamment) et de se débrouiller ensuite pour réaliser un tableau avec tout ça. Autrement dit, réussir à accrocher chez les gens, dans leurs salles à manger ou au dessus de leurs lits, des matières destinées à la déchèterie.
Il n’y a rien de plus facile que de coller, mais rien de plus difficile que de réaliser un collage « harmonieux » ( couleurs, équilibre).
C’est un challenge que de « coller » car c’est une technique qu’un enfant peut apprendre en 3 minutes chrono.
Je m’inspire beaucoup de la rue, de ce que je vois, de ce que j’entends. Je ne m’inspire pas des autres artistes, je ne l’ai jamais fait, je fréquente très très peu les musées pour ne pas piquer certaines idées et pour ne pas devoir m’interdire d’autres choses aussi.
Bien sûr que l’artiste a une mission pour notre société. L’Art c’est primordial, c’est vital ! Après vous savez dans l’art, certains créent des choses et on leur écrit l’histoire après coup à leur place, et donc méfiance sur les intentions. Je ne me considère pas comme un philosophe de l’art, ni un révolutionnaire etc…Je m’amuse dans mon atelier, mon cerveau cherche sans arrêt de nouveaux axes, de nouvelles idées, et ça me va bien comme cela !
Combien la couleur est importante et pourquoi.
La couleur est bien évidemment très importante ! Mais le plus important est l’équilibre et la façon dont on travaille ces couleurs, l’harmonie…C’est comme un puzzle, avec l’expérience on a une idée plus rapide de ce que l’on veut, de ce que l’on cherche pour les bouts de collages par exemple.
Pour mon acrylique et le travail de mes fonds, je suis un peu plus « pastel » que dans le passé ou les couleurs étaient beaucoup plus vives, parfois même limite fluorescentes…Pour les affiches, je ne modifie jamais la couleur de base, si j’ai besoin de vert, je ne peins pas en vert, je cherche mon morceau de vert dans les centaines et centaines de kilogrammes d’affiches que je stocke à l’atelier.
Dans quelle mesure Cannes est présente dans les toiles, ou la Côte d’Azur en général.
La ville de Cannes a une place importante dans mes collages. Je suis passionné par cette ville où je suis né, où j’ai fait mes études, ou je suis beaucoup sorti, ou mes filles sont nées…et ou je travaille depuis 2015 ( Au Suquet des Artistes, en collaboration avec la Ville de Cannes )
Je récupère beaucoup mes affiches entre Saint Raphaël et Menton, et quand l’occasion se présente, je glisse un petit clin d’œil à ma ville…et aussi à la Côte d’Azur en général avec des palmiers par exemple, souvent représentés sur les affiches de Festivals de musique ou autres événements régionaux…
Quels sont les diverses étapes de votre création artistique et combien de temps il vous faut pour construire une toile de grande format. On a l’impression que construire un collage aie aussi un côté très physique, n’est-ce pas ?
Ça dépend beaucoup des séries, mais si on ne parle que de la série « Affichage Libre », ça commence par partir la nuit en mission « affiches »Et là il n’y a jamais de garanties, aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif ! Certaines affiches sont de véritables petites pépites, comme ces derniers mois les affiches de la tournée « Dutronc & Dutronc », Michel Polnareff, Ines Reg…Une fois la récolte faite, je trie les affiches, j’utilise de l’eau pour les décoller et essayer de voir si une petite merveille ne se cacherait pas dessous…Et avec les agressions du temps ( pluie, soleil, vent…) et la colle, le papier semble raconter une histoire, celle que je veux ensuite véhiculer sur mes tableaux…Une fois la partie « collages » finie, je dessine avec des marqueurs noirs ( uniquement noirs ) afin de lier 85% des morceaux collés entre eux, et je réalise des formes assez simples sur le tableau, sans chercher la complexité et la technicité…En fonction des formats, on peut tabler sur quelques dizaines d’heures par tableau mais j’ai toujours eu du mal à évaluer ce facteur temps avec précision. Je suis sûr que c’est le cas quand on a la chance d’avoir un métier passion !
En effet il y a un côté physique dans le collage. On se bat littéralement avec nos morceaux d’affiches, qui peuvent faire plus de 2 mètres! Les affiches sont stockées a l’air libre, mais aussi dans des centaines de bacs. Toutes ces étapes sont effectuées en étant debout, accroupi, le dos courbé etc…Après 15h, j’ai la même sensation qu’après 6h de VTT ou 4h de Padel !La sensation doit s’apparenter aux métiers du bâtiment, une journée « collages » se termine sur les rotules.
Le graphisme que vous utilisez, que des lignes noirs, unissant la quasi totalité des morceaux, que représente pour vous et à quel moment vous l’appliquez sur la toile?.
Comme je l’ai un peu expliqué juste avant, c’est la partie qui est faite une fois les collages 100% finis.Les collages ont souvent été fait de façon très brute et notamment par les plus grandes références mondiales.J’ai voulu tester cette technique, qui avait pour objectif un aspect visuel différent et pour lier ensemble les informations, des mots, des chiffres, des regards, des objets…La vie quoi ! Car la vie est bien représentée dans mes collages vu que j’utilise des affiches de spectacles, donc de musique, d’humour ! Ça se retranscrit sur les visages, les regards, les objets ( Trompettes, Guitares, Piano ), mais aussi sur les couleurs, la typographie…
Quel est votre rapport avec les galeries et en général avec le monde de l’art contemporain.
Je suis actuellement « sorti » des galeries avec lesquelles j’ai pu collaborer dans le passé. J’ai décidé de reprendre ma liberté il y a 3/4 ans environ, et je suis très épanoui comme cela. Travailler avec certaines galeries m’a permis d’exposer et de vendre dans certains pays ( New York, Miami, Dubai…) et c’était une fierté. Mais aujourd’hui ( Ça pourrait changer un jour, attention) j’ai un peu mis ça de côté et suis aussi content de vendre 80% de mes créations sur la Côte d’Azur que de vendre à Tokyo ou Chicago…Et puis la grosse différence c’est qu’avec ma façon de travailler, j’ai un contact direct avec mes collectionneurs, je livre moi même au maximum, on accroche ensemble, et on oublie pas de prendre l’apéro et de partager un bon moment. Quand j’arrêterai les apéros, peut être que j’ouvrirai à nouveau ma porte aux galeries. Blague à part, la seule chose que j’envisage a court terme serait de confier une seule de mes séries à un galeriste réputé, et de garder mon indépendance pour le reste…
Quels sont vos projets futurs ?
L’idée est de continuer et poursuive en 2024 tout ce qui a été fait en 2023 ! C’est à dire beaucoup travailler, et faire quelques expositions publiques et privées.Je serai en Septembre / Octobre 2024 du côté de Bandol pour une exposition solo et j’ai d’autres projets que vous découvrirez bientôt sur mes réseaux sociaux.
Sinon 2024 sera consacrée au projet « Histoires de Vie » que je réalise avec mon ami le peintre Colombien John Mejia. Nous préparons une série de tableaux ( collages – portraits ) afin de mettre en lumière des personnes ayant vécues des épreuves, des drames, des injustices…
Nous avons réalisés à ce jour 4 portraits ( Douze Février, Alicia Mahé, Eva Yaneva…) , et avons les accords d’une douzaine d’autres, des femmes et des hommes exceptionnels ( Michael Jeremiasz, Steffy Alexandrian et j’espère mon ami Jarry sur la paternité en étant homosexuel …)
J’espère qu’à l’été 2024, notre travail sera bien avancé pour pouvoir ensuite le présenter et organiser de belles expositions en 2025 à travers la France…une chose est sûre, c’est que 2025 sera une année très prolifique et enrichissante.