D’un tempérament naturellement généreux, curieux et ouvert aux innovations techniques et artistiques de son siècle, Fernand Léger s’est toujours entouré d’artistes qui ont pu influer sur sa démarche de peintre. Au croisement des principaux mouvements de l’avant-garde européenne, son œuvre, oscillant entre abstraction et figuration, a accompagné les grands bouleversements esthétiques de la première moitié du XXe siècle : elle a apporté une contribution originale à la modernité tout en affirmant la liberté et l’indépendance d’esprit et de création du peintre.

Il aimait s’entourer d’amitiés éclectiques et celle avec Marcel Duchamp occupe une place primordiale dans la vie de Léger car elle accompagne l’affirmation de son style pictural. Tous deux partagent une même fascination pour l’objet industriel et la traduction du mouvement réel dans la peinture, mais aussi un humour à la limite de l’irrévérence. Marcel Duchamp apprécie la bonne humeur à toute épreuve de Léger : « À la fois malin et puissant, un vrai Normand qui ne s’embarquait guère dans le dédale de la dialectique mais se forgeait des vérités toutes simples et bien assises auxquelles il s’accrochait avec le sourire d’un paysage . » Au-delà des expositions collectives, leurs réunions sont aussi prétextes à des retrouvailles dans un esprit bon enfant : « On ne faisait pas que discuter sous les ombrages champêtres de Puteaux ; on tirait à l’arc, on jouait aux fléchettes, aux petits chevaux et à d’autres jeux innocents ; […] c’est l’ensemble qui est capital dans l’histoire de la peinture contemporaine».

Avec ses partenaires du cubisme, Braque et Picasso, Léger entretient des relations ambivalentes. Souvent évalué à la lumière de leurs inventions, Léger reste attentif aux développements de leurs œuvres tout en prenant garde de se démarquer en traçant sa propre voie. Au sujet de Picasso, une forte rivalité pointe dans la correspondance de Léger avec son marchand Léonce Rosenberg, qui le rassure ainsi : « Si Picasso est aristocratique comme un roi, Léger est vrai comme un Dieu. J’aime les deux. Léger est le premier de tous les artistes qui ait créé de la vie sans la copier » . Une fois la période du cubisme passée, les deux hommes ne se fréquentent plus régulièrement mais se retrouvent dans le sud de la France, chez le couple de collectionneurs Sara et Gerald Murphy, leurs amis américains communs ; ou encore à Vallauris, où Picasso a élu domicile à partir de 1948. Malgré des évolutions différentes, Georges Braque et Léger sont liés par leur histoire commune, leur origine normande mais aussi leur expérience traumatique de la guerre. En août 1939, dans un contexte tendu, Georges Braque reçoit Fernand Léger dans sa résidence-atelier de Varengeville-sur-Mer.

Amoureux des mots et du langage, Léger apprécie la compagnie des poètes : d’abord Blaise Cendrars, son plus proche ami rencontré vers 1905, Guillaume Apollinaire et Yvan Goll ; puis Paul Éluard et Louis Aragon, qui ont dédié au peintre de percutants poèmes-hommages croquant dans un même verbe la personnalité et l’œuvre de Léger. Au-delà de ses relations avec les grands noms de la poésie, Léger apporte son soutien généreux à des poètes moins connus, Robert Guiette ou Eugène Guillevic, qu’il aide en leur offrant des illustrations. La période des avant-gardes est propice au décloisonnement entre les arts. Peintres et poètes s’unissent pour lutter contre l’académisme, qui entrave la liberté des artistes, et construire ensemble la modernité : « À cette époque [en 1911], les peintres et les écrivains, c’était pareil. On vivait mélangés, avec probablement les mêmes soucis; on peut même dire que chaque écrivain avait son peintre. Moi, j’avais Delaunay et Léger, Picasso avait Max Jacob, Reverdy: Braque ». Selon Léger – qui possède le don rare de transcender un traumatisme en énergie créative –, cette amitié profonde avec Cendrars éclot suite à leur expérience de poilu : « Notre camaraderie devint de l’amitié, après avoir enjambé la guerre de 14-18 qui nous permit de découvrir le « peuple de France».

L’œuvre de Léger se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des sentiers battus de l’art moderne, et est très bien résumée par les mots de Maurice Raynal : « L’art de Léger est peut-être l’un des plus humains qui soient, parce que l’un de ceux qui donne le plus l’illusion de la liberté».

Photos: Fernand Léger La Baigneuse 1932 © Adagp Paris 2019 – Eduardo Arroyo Fernand Léger 2007 © Adagp Paris 2019 – Fernand Léger Femmes au perroquet 1951 © Adagp Paris 2019 –

Musée National Fernand Léger – Chemin du Val de Pôme – 06410 Biot, France

www.musee-fernandleger.fr

Jusqu’au 23 septembre 2019